Tuesday 18 June 2013

Baclofène: “Attention aux effets secondaires”

Le Dr Philippe Batel a participé à l'étude sur un médicament qui va bientôt sortir, le nalméfène. Avec d'autres addictologues, il participe aujourd'hui à l'essai sur le baclofène. Considéré comme un détracteur par le camp baclofène, il conteste l'aspect révolutionnaire et l'innocuité de la molécule.



Quel est votre avis sur le baclofène, vous qui le prescrivez?
Dr Philippe Batel. Quand je le prescris c’est à des patients qui viennent de s’arrêter de boire et sont dans un objectif d’abstinence. Mon impression est qu’il y a une mauvaise ­tolérance pour des doses élevées de ce produit. Par ailleurs, chez les gens qui continuent de boire et dont on attend l’effet tant espéré – guérisseur, “miraculeux” – de rendre indifférent à l’alcool, les effets sédatifs sont fréquents et dangereux. Il faut se servir de cette attente de “miracle” car elle est thérapeutique, mais cela s’appelle “l’effet placebo”. On doit vérifier méthodiquement.

Huit ans se sont écoulés entre la découverte du baclofène par le Dr Ameisen et le démarrage des essais…
Ça prend du temps, de faire de la recherche et de donner une AMM ! La première publication sur le nalméfène, qui va bientôt sortir en France, remonte à vingt ans !

Vous avez piloté l’étude de cette molécule, le nalméfène, dont l’objectif est de réduire la consommation d’alcool. Quelle est son efficacité ?
Il freine “l’emballement” de la consommation. Le nalméfène a un effet modeste, même si, dans les études, il permet de réduire la consommation de moitié sur six mois. Mais après ?

Vous considérez les pro-baclofène comme un lobby…
Oui, et ils ont mis une telle pression que, à mon avis, l’Agence donnera une AMM même si les essais comportent 800 patients et non 2 000.

Que pensez-vous de la notion d’indifférence à l’alcool provoquée par le baclofène ?
Mon sentiment est que les patients nourrissent un espoir très fort d’atteindre le “miracle”, cette fameuse indifférence à l’alcool qui n’est pas observée avec les autres médicaments. Pour cela, ils vont devoir lutter énormément contre les effets secondaires. Et à un moment donné, il y a un déclic, quelque chose se passe. Selon moi, et c’est une hypothèse, les patients en ont marre de lutter contre l’action combinée des effets secondaires et de l’alcool : ils lâchent l’affaire et deviennent complètement abstinents. Mais je ne l’ai observé que sur une dizaine de personnes qui avaient toutes des troubles psychiatriques sévères. A tel point que je prescris le baclofène en première intention aux schizophrènes alcoolodépendants.

Vous voulez dire que l’indifférence à l’alcool serait due à un lâcher-prise de certains malades ?
C’est la question en addictologie : qu’est-ce qui fait que l’on arrête de boire ? Quand on en a marre et qu’on réalise qu’il n’y a pas d’autre solution. Qu’on ne vienne pas me dire que c’est ­l’action purement pharmacologique qui produit cette décision !

Quel est votre taux de réussite avec le baclofène ?
Je ne vous donnerai pas de chiffres. Je l’ai imprudemment fait et je préfère attendre de publier mon étude.

Quelle valeur accordez-vous aux milliers de témoignages sur les sites d’associations ?
Beaucoup d’entre eux sont certes très positifs, mais je reste prudent sur la gravité des effets secondaires.

Votre flair de médecin vous rendrait plutôt optimiste vis-à-vis du baclofène ou du nalméfène ?
Ils ne sont pas comparables. L’un vise l’abstinence ; l’autre, une réduction de la consommation. Les mettre en concurrence et monter une histoire de conflits d’intérêts n’a aucun sens.

Vous dites subir attaques et diffamations des pro-baclofène parce que vous contestez le “miracle” de la molécule.
Un vrai conflit est né entre les partisans de ce médicament et ceux, dont je fais partie, qui tiennent des discours plus prudents. Peu à peu, les choses ont dérapé. On m’imagine au cœur d’un complot qui veut empêcher le succès du baclofène parce que j’ai travaillé sur le développement du nalméfène. Oui, j’ai touché de l’argent du laboratoire Lundbeck pour le nalméfène mais aussi d’Ethypharm pour le baclofène. Entendre dire que mon avis dépend de l’argent que je touche d’un laboratoire pharmaceutique est indigne et insupportable pour moi.

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